Vendredi 3 juillet, a eu lieu la remise des diplômes aux bacheliers du Lycée français international Molière en présence de leurs professeurs et parents. Nous transcrivons ci-dessous le discours émouvant que le proviseur a dédié aux élèves:
Les grands, mes grands,
Nous nous retrouvons tous ce soir, de manière un peu inespérée, pour notre traditionnelle fête de fin d’études. Elle conclut une année particulièrement étrange dont nous entrevoyons enfin un peu le bout même si nous savons tous que les effets de cette affreuse crise ne font, sans doute, que commencer.
Néanmoins ce soir, soyons résolument positifs et, ensemble, parcourons un petit bout de chemin vers la sortie du Molière, pour vous, mes grands, que j’ai connus petits en 2de, un temps qui me paraît désormais bien loin.
Depuis 3 ans, je me trouve rituellement aux côtés des élèves et des professeurs, en face des parents, et je me demande à quoi pensent, un tel soir, ceux qui ont tant sacrifié pour leurs enfants, ceux qui ont tant investi pour qu’ils aient le meilleur, au plan académique comme éducatif. Je me demande à quoi ils pensent, ce qu’ils aimeraient dire, ce qu’ils aimeraient exprimer.
Alors ce soir, j’ai voulu faire un pas de côté et imaginer que cette année, le temps d’une soirée de graduation, j’étais parent en classe de terminale.
Voilà ce que le parent que je serais aurait pu dire à son enfant:
« Mon petit, ma petite, mon enfant, va, vis, deviens du titre d’un magnifique film israélien qui contient en 3 mots, le souhait absolu d’une mère pour son fils, dans un camp de réfugiés.
Si j’étais parent de terminale ce soir, je me souviendrais du jour où je t’ai emmené(e) à la Maternelle, pour la 1ère fois et je mesurerais en pensées tout le chemin parcouru depuis ton 1er tablier à carreaux. Je me souviendrais du temps où je t’avais confié(e) à d’autres bras que les miens pour qu’ils t’emmènent vers demain. La 1ère fois qu’une autre que moi aura séché tes larmes, entendu tes rires, aura recueilli tes premiers mots, dans une autre langue que la mienne.
Depuis ce jour-là, que de chemin parcouru, au Molière ou ailleurs, parfois dans plusieurs ailleurs, parfois dans plusieurs autres langues que celles du Molière.
Mon fils, ma fille, mon enfant, ce soir nous refermons une page de notre album de vie et bientôt tu vas quitter notre maison pour de nouvelles aventures. Je serai bien sûr à tes côtés mais inévitablement, par Toi, de moins en moins sollicitée.
Mon enfant, n’aie pas peur de prendre ton envol, tu ne fuis rien, tu pars…simplement.
La vie n’est pas toujours facile et comme les autres, tu auras tes grandes peines et très grandes joies, tes échecs et tes victoires. Tout cela prendra du sens, à la fin, quand, vieux ou vieille, tu te retourneras. Mon petit, ma petite, mon enfant, n’hésite pas car la vie, qu’elle quelle soit, vaut la peine d’être vécue, pleinement, totalement, sans se garder des coups car ce serait aussi se priver des grands bonheurs qui leur font suite.
Si j’étais parent de terminale ce soir, j’aurais envie de te dire, va et ne te retourne pas, trace ton chemin sans te soucier de Moi car où que tu ailles, où que tu sois, je serai toujours là, tu pourras toujours compter sur Moi, comme tu le fais depuis le jour de notre rencontre.
Si j’étais parent de terminale ce soir, je te dirais, enfant, emporte du Molière le plus que tu pourras, rien n’y a été simple ou lisse mais beaucoup y aura commencé. Tu y as reçu, valeurs et attention, soin et encouragements, gronderies et punitions parfois, qu’importe ! Tu y as aussi appris à travailler durement, à t’organiser, à survivre à des examens par rafales de 10, à répondre au stress par l’efficacité. Tu y as appris ce qui te servira à l’Université et un jour, avec un peu de nostalgie sans doute, tu te souviendras de ce temps-là, celui où des adultes prenaient des décisions pour Toi.
Il faudra revenir pour donner des nouvelles et expliquer ton parcours à plus petit que Toi.
Nous sortons d’un confinement très dur et cette période étrange a encore mieux montré que pour voir grandir un enfant, il faut toute une communauté. C’est dans cette communauté que tu as grandi(e), entre tes parents qui nous ont honorés de leur confiance et tes professeurs qui ont eu pour toi des exigences à la hauteur du respect qu’ils te portaient.
Le confinement a resserré les liens entre tous et, ensemble, nous avons appris de nouveaux mots aussi bizarres que l’était le printemps 2020 : meet, call, drive, formular, classroom, link et j’en passe.
Cette langue nouvelle a joué les ponts entre nous tous, les adultes et les enfants, les parents et l’Ecole, et nous sortons, encore renforcés, encore grandis, de tout ce que, malgré nous, nous avons appris.
Pour terminer, si j’étais parent de terminale ce soir, je remercierais la COVID-19 qui nous a permis, Toi et Moi, de vivre 11 semaines ensemble, 24H/24H, un temps précieux que nous n’avions pas eu depuis ta naissance, un temps durant lequel nous avons réappris de nous-mêmes, de notre relation, un temps béni ou je t’ai découvert, où je t’ai découverte, presque adulte, déjà si fort, déjà si puissante et ce soir, si j’étais parent de terminale, je serais fière de Toi, de moi, de Nous.
Va, mon enfant, vis et deviens
Valérie Servissolle, proviseur
Photographies: Damien Feron